• Sortie du 23 novembre : Hygiène de vie

Faut que j’te raconte, ça faisait des mois qu’i m’ tannaient pour que je fasse du biclou avec eux, les randos de Nancy. Alors, à force qu’i z’insistent comme des maboules, j’ai emprunté le matos à mon frangin, et j’ai fait ni une ni deux… pas dégonflé le mecton, ce matin, je me suis pointé à leur rencart. Un drôle de cirque, faut voir ça, y’en avait plein, fringués comme des chtroumpfs, équipés comme des pros, perchés sur leurs machines dernier cri, t’imagines pas le progrès … du bol que le vélo du frangin faisait à peine ses 8 kilos, t’imagines, si je m’étais pointé avec la bécane du paternel, tu sais celle qu’il a piqué aux Fritz en 42…16 kilos de ferraille, faut s’les traîner.

J’te cache pas qu’au début, j’ai morflé, c’est pas qu’ça roulait bien vite, mais que veux-tu, quand on clope ses 2 paquets par jour, qu’on se descend ses trois boutanches de rouquin, sans compter le carafon de brouille-ménage, le « sport », comme ils disent, c’est pire que l’turbin. Tu vas m’dire, forcément, c’est aussi du travail à la chaîne, le vélo… je rigole, mais n’empêche, qu’est-ce que ça fait mal aux guiboles, pis aussi au dos, et le joufflu, c’est le bouquet, vu qu’on est assis sur une selle qu’est pas plus large que le bifteck de la cantine.

Petit à petit, je m’y suis fait, j’ai pigé comment qu’i fallait s’y prendre : surtout pas de vent, bien à l’abri, « dans les roues » qu’ils disent, j’te demande un peu, dans les roues… et pis j’ai dit, les poussettes c’est pas de refus, faut pas vous gêner les gars, j’vais pas me vexer. Sur le tas, y’en a qu’on été ben complaisants, z’ont eu pitié. J’vous revaudrai ça, qu’j’ai dit…les promesses ça coûte pas cher. C’est pour dire que j’suis pas resté en rade, et qu’j’ai même pas mis à pied à terre, enfin pas longtemps, on a sa fierté, tout d’même.

C’est pas tous des jeunots, les mordus de la petite reine, loin de là, y’en avait même un qu’avait 80 piges, i paraît, tu te rends compte. Pis fallait voir comment qu’il moulinait des gambettes, l’ancêtre, t’en avait qui tiraient la langue pour ne pas s’faire larguer. La moyenne d’âge doit dépasser allègrement les 60 balais… z’ont pas dû beaucoup se fatiguer au boulot quand i z’étaient jeunes, pas comme mézigue… frais comme des fonctionnaires qu’i sont, tout frais tout roses comme des premiers communiants.

A moins que… ouais… à moins que ce soit le biclou qui les conserve, précisément… « l’hygiène de vie », qu’i m’dit toujours le toubib, vous y pensez à votre hygiène de vie… pour sûr que j’y pense, mais que veux-tu, j’sais pas refuser… moi, on m’offre un canon, je dis jamais non, j’ai de l’éducation, mon prince, j’sais m’tenir… enfin, jusqu’à un certain point, des fois j’attige, j’me tiens aux murs, même que la bécane du paternel j’la retrouve pas… obligé de rentrer à pinces… mais avec tous les zigzags, ça en fait du chemin.

Bon, je crois que je vais m’acheter une conduite… et un bon vélo. Parce qu’au fond, je les envie, les croulants qui pètent la forme. J’dis pas que je les suivrai partout… vu qu’i en a un qu’est un peu philosophe sur les bords qui m’a expliqué : y a des pacifistes, dans le lot, des pères tranquilles, des contemplatifs, mais y en a aussi pour qui c’est jamais assez dur… en-dessous de 10%, une côte, c’est de la rigolade, il leur faut du raide, du pentu… et du bien long dans le dur, col après col, et chrono en mains, comme des pros, j’te dis, ah ça rigole pas… des forcenés. Alors, le philosophe (i s’appelle Kierk, Kierk Hegaard, un drôle de nom, doit être né à Anvers, à moins qu’il soye danois), i m’a sorti une phrase qui m’a drôlement fait réfléchir : i m’a dit, pour ces gaillards-là, « ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin… »

Je répète, t’as bien entendu : ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin.

Ah, c’est beau comme de l’antique, une phrase comme ça… pour faire réfléchir, ça fait réfléchir…

Reynald, qui a reçu les confidences du néophyte du jour.